Le traitement judiciaire des victimes de violences sexistes et sexuelles en France : entre condamnations européennes et nécessaire réforme législative
Article écrit par Anaïs Gauret
Le traitement judiciaire des victimes de violences sexistes et sexuelles en France s’inscrit aujourd’hui dans une actualité particulièrement dense, entre une réforme majeure visant à redéfinir le viol en intégrant la notion de consentement, et la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour les défaillances de son système judiciaire dans ce domaine, ces évolutions traduisent une exigence accrue de mise en conformité du droit français avec les exigences européennes et surtout un impératif de meilleure protection des victimes et de prévention de la récidive.
Une réforme autour du consentement
La réforme en cours compte modifier profondément la définition pénale du viol. Aujourd’hui, l’article 222‑23 du Code pénal qualifie de viol “tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise”. Cette approche, fondée sur la domination, est largement critiquée par la doctrine et les associations de défense des droits des femmes, car elle ne prend pas suffisamment en compte les situations où la victime n’a pas pu manifester son refus, notamment en raison de l’emprise ou de la sidération.
La proposition de loi adoptée à l’Assemblée le 1er avril 2025 puis au Sénat le 18 juin 2025 vise à inscrire au cœur du texte la notion de consentement et à préciser que celui-ci doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable, la simple passivité ne pouvant être assimilée à un accord. Il s’agirait d’un outil supplémentaire permettant de préciser l’élément intentionnel de l’infraction.
Pour Audrey Darsonville, professeure de droit pénal (AJ Pénal, juin 2025), cette réforme est “nécessaire” car elle replace la victime au centre de l’infraction et rapproche la France des standards européens, notamment de la Convention d’Istanbul. Elle permettrait de mieux appréhender des réalités jusqu’ici mal prises en compte par la justice, comme les abus de vulnérabilité, les rapports sous emprise ou les situations de sidération. Mais elle n’est pas sans risques : plusieurs praticiens alertent sur le danger de faire peser sur la victime la responsabilité de l’acte du viol, ou de créer une insécurité juridique autour de la preuve du consentement.
La France condamnée par la CEDH pour son traitement judiciaire des victimes
Cette évolution législative intervient alors même que la CEDH a récemment condamné la France pour son traitement judiciaire des victimes de violences sexuelles. Dans l’arrêt L. et autres c. France rendu le 24 avril 2025, la Cour rappelle que l’État a l’obligation positive de protéger ses citoyens contre les atteintes à leur intégrité physique et psychologique, en particulier dans les cas de violences sexuelles. Elle a dénoncé l’incapacité du système pénal français, dans ces affaires, à permettre une répression effective des actes non consentis, ni de garantir une prise en charge adaptée des victimes, en particulier lorsqu’elles sont âgées de 13 à 16 ans.
La Cour a retenu des violations des articles 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants), 8 (droit au respect de la vie privée) et 14 (interdiction des discriminations) de la Convention européenne des droits de l’homme.
Au-delà du problème juridique, la CEDH a souligné un phénomène de “victimisation secondaire” : certaines pratiques judiciaires - questions inappropriées sur la tenue vestimentaire des victimes, délais excessifs dans les procédures, absence de communication adaptée - ont contribué à aggraver le traumatisme des plaignantes. Une critique que relaie également la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), qui appelle à une refonte profonde des pratiques judiciaires et à l’intégration d’une véritable culture du consentement dans le traitement des affaires.
Le poids des préjugés et des plaidoiries sexistes dans les prétoires
Au-delà des défaillances structurelles, les audiences elles-mêmes peuvent devenir une épreuve supplémentaire pour les victimes. Les stratégies de défense utilisées par certains avocats reposent encore sur des préjugés sexistes profondément ancrés : remise en cause de la crédibilité de la victime, insinuations culpabilisantes, commentaires sur son comportement ou sa tenue vestimentaire.
Lors du procès des viols de Mazan, les propos tenus à l’audience ont suscité une vive indignation, à tel point que la CEDH a qualifié ces pratiques de victimisation secondaire. Plus récemment, des affaires très médiatisées – comme celle concernant Gérard Depardieu – ont mis en lumière des plaidoiries particulièrement virulentes, accusées d’humilier les plaignantes plutôt que de se concentrer sur les faits.
Cette ligne de défense, bien que légale, s’appuie sur une culture du viol encore profondément enracinée/ancrée dans certains prétoires. Elles tendent à inverser les rôles, plaçant la victime sur le banc des accusés et contribuant à une perte de confiance dans la justice. Pourtant, le serment des avocats les engage à exercer leur mission avec “dignité, conscience, indépendance, probité et humanité”. De nombreux praticiens plaident aujourd’hui pour que ces principes soient fermement réaffirmés, afin d’empêcher cette violence institutionnelle qui aggrave les traumatismes initiaux.
Vers une nouvelle culture judiciaire ?
La convergence entre la condamnation européenne et la réforme législative en cours est évidente. La France doit non seulement revoir sa définition du viol, mais aussi adapter ses procédures pour limiter les traumatismes liés au parcours judiciaire : meilleure formation des magistrats, amélioration de l’accueil des victimes et lutte contre les stéréotypes sexistes dans les salles d’audience.
Certains experts, comme Catherine Le Magueresse, défendent un changement de paradigme : passer d’un système fondé sur la violence ou la contrainte à une définition positive du consentement, inspirée de modèles étrangers tels que la Suède ou le Canada. Ce basculement est vu comme essentiel pour véritablement protéger les victimes et mettre en œuvre la Convention d’Istanbul, ratifiée par la France.
Mais il ne suffit pas de réécrire la loi. Comme le rappellent plusieurs auteurs dans Droit pénal (juillet‑août 2025), une politique pénale efficace passe aussi par la prévention de la récidive, via une prise en charge spécifique des auteurs pour éviter de nouvelles victimes, et par un accompagnement des victimes, incluant un soutien psychologique et social.
En définitive, la condamnation de la France par la CEDH et la réforme législative en cours ne sont pas des événements isolés, mais les deux faces d’une même urgence : bâtir un système judiciaire plus protecteur, plus respectueux des victimes et mieux aligné sur les exigences européennes. Le défi sera de concilier cette protection renforcée avec les principes fondamentaux de notre droit pénal, au premier rang desquels la présomption d’innocence.